Tapisseries Dominique de Serres

la lissière comme un passeur entre deux univers

Lissière, à l’orée du XXIe siècle, doit paraître étrange à ceux qui n’ont pas le souci de la permanence et de la transmission d’un savoir millénaire. Ce métier, si ancien qu’il côtoie l’origine des civilisations, demeure encore vivant aujourd’hui pour quelques passionnés. La parole du métier de basse lisse ne chuchote-t-elle pas :

“La vie est un perpétuel va-et-vient, un don de soi…” (langage d’Afrique de la navette).

Dominique de Serres a choisi de “tisser le temps” comme un engagement de vie qui ne se confond pas avec l’agrément ou le superflu. En 1978 elle entre à l’École Nationale d’Art décoratif d’Aubusson et reçoit son diplôme de lissière ou licier en 1981.

Après avoir exercé la restauration de tapisserie près de la Maison Chevalierà Courbevoie, elle installe son vieux métier de basse lisse d’Aubusson, plus que centenaire, en ce lieu de privilège qu’est encore Trébeurden, en Trégor d’Armorique.

La tapisserie de basse lisse (ou lice) se tisse à l’envers. Jeu de fils creux et de fils pleins lorsque la laine chevauche la chaîne ; les doigts agiles assurant la trace du dessin glissé sous la trame. Langage privé de la répétition infinie des entrelacs qui s’ajoutent, jour après jour, et engendrent lentement la future création.

Si l’artiste reste le maître d’œuvre, la tapisserie dépend de la qualité de l’artisan qui se met au service du cartonnier.

Oubli de soi, compréhension, aptitude à transmettre, saisir et réaliser font du choix du lissier un acte capital proche de la rencontre symbiotique.

Le lissier est le trait d’union entre le créateur et l’ouvrage achevé.

Sa position d’interprète est des plus subtile à concevoir puisqu’il s’agit de traduire une œuvre dans une autre technique que celle du peintre cartonnier. Tout l’art du lissier réside en sa capacité de se soumettre à une image peinte (la maquette) afin de laisser advenir une œuvre nouvelle : la tapisserie - l’interprète vit cette curieuse originalité de restituer une fausse ressemblance - une même œuvre pas tout à fait semblable, et qui “sera toujours autre” écrit Maurice Blanchot.

Dominique de Serres collabore depuis plus de 20 ans avec quelques artistes tels Roger Druet, calligraphe à Trégastel, ou Charles Stratos d’Avignon, l’essentiel de ses réalisations restant celles de Bernard Louedin qui firent l’objet de plusieurs expositions.

Si l’art du lissier traverse le temps, c’est que la braise couve sous les cendres et maintient quelques âmes vivantes prêtes à soutenir cette ancestrale tradition.

En ces temps incertains, seule la croyance en quelque chose de plus haut que nous-même peut encore faire vivre cette expression textile.

Le poète, peut-être… le sait-il ?

“Je t’annonce les temps d’une grande ferveur et la félicité des sources dans nos songes… pour l’instant encore c’est le jour !”. Saint-John-Perse.


Bernard Louedin le 31 décembre 2005