Dominique tisse comme elle respire
Le Télégramme
6 février 2016
Sa vie est entièrement dédiée à la tapisserie. À Trébeurden, Dominique
de Serres se lève et se couche en pensant à ses réalisations.
La lissière ne se lasse pas de croiser les fils, de faire naître formes et couleurs, d’interpréter la peinture imaginaire de son mari Bernard Louédin.
Rencontre au pied de ses métiers de basse-lice.
Elle a attrapé le virus du tissage à l’école d’Aubusson. Dominique de Serres consacre toutes ses journées à la tapisserie, sa « respiration ».
La vie de Dominique de Serres est rythmée par la tapisserie depuis trente-cinq ans. Un engagement,un vrai choix de vie.
Le matin, la lissière investit son petit atelier, route de Lannion à Trébeurden,
et l’après-midi, le grand. Mais elle oeuvre toujours sur un métier de basse-lice, moderne ou centenaire, synchronisant mains, jambes et tête.
Une révélation immédiate
« J’y consacre entre six à huit heures par jour, tous les jours de la semaine, témoigne-t-elle. C’est la seule manière que j’ai trouvée pour respirer. Je m’endors et je me lève en pensant à ma tapisserie. »
La révélation s’est produite en 1978. À 19 ans et demi, la Parisienne entre à l’École nationale d’arts décoratifs d’Aubusson, avec quelques prédispositions
manuelles. « Le premier jour d’école, on nous a fait tisser des bandes pendant quatre heures. Au bout des quatre heures, je me suis dit " Je veux faire ça toute ma vie ". J’ai adoré le croisement des fils. Mais Dominique de Serres « se
rebelle » face à ses professeurs qui l’orientent vers la création contemporaine,
plus tendance. Elle se revendique « interprète » du travail des autres. « S’il n’y avait pas de dessin à la base, je serais complètement paralysée », souligne-t-elle.
Un détour par la restauration
L’école ne lui offre pas les débouchés espérés. Diplômée en 1981, Dominique de Serres va travailler, pendant quinze ans, dans une entreprise de restauration de tapis et de tapisseries à Courbevoie, mais à l’aiguille ! En parallèle, elle n’abandonne pas son premier amour et consacre week-ends et jours de congés à sa passion.
Deuxième « révélation » : sa rencontre, en 1983, avec le peintre de l’imaginaire Bernard Louédin alors qu’elle passe ses vacances à Trébeurden. En 1984, ils réaliseront ensemble « L’âme-oiseau ». Le début d’une longue collaboration…et bien plus.
Dominique de Serres s’est installée définitivement en terres trégorroises en 1995 pour être la « traductrice », en fils de laine, des oeuvres de son mari.
« Quand il est dans un cycle de créations, il réalise des variantes : dessins,
peintures et maquettes pour la tapisserie, explique la lissière, âgée de 57 ans. Son dessin me pose des défis techniques. À chaque fois, qu’il me présente une nouvelle maquette, je ne sais pas comment l’attraper. »
Dix ans de réglages
Dix ans ont été nécessaires pour qu’ils trouvent les bons réglages, la
bonne interprétation. « Dans sa peinture, on trouve des jeux de transparence. Moi, je travaille sur l’intensité de la couleur, analyse-t-elle. Il a fallu que je retrouve une technique ancienne qui m’a permis d’affiner le passage des couleurs. Pour faire une couleur, je mélange six brins très fins de nuances différentes. »
C’est un tas d’astuces que lui permettent d’avoir un fond d’une grande finesse et des détails très précis.
Dominique de Serres a tout de même fait quelques infidélités, artistiques à son mari. Elle a travaillé pour le calligraphe Roger Druet et le peintre Charles Stratos.
« La tapisserie, c’est très difficile à vendre en raison du coût, reconnaît-
elle. Il faut compter quatre mois de tissage pour les plus grandes réalisations. » La lissière n’arrive à fabriquer que quatre à cinq ouvrages par an. L’angoisse pointe parfois quand arrive l’heure de la coupe et de la découpe. « Pendant des mois, on a tissé à l’envers, un peu à l’aveugle. »
Toujours et encore
Mais rien ne semble altérer son bonheur. « Mon plaisir, c’est de savoir
que j’ai plein de tissage devant moi. C’est la magie de croiser les
fils, de faire de la couleur, de voir naître une forme. » Le temps suspend
son vol.
Lissière. Dominique tisse comme elle respire